David Gaider, à propos des Fanfictions

Gilthonniel - - 1 commentaire - News
image
De nombreux fans des sagas de Bioware laissent libre cours à leur créativité par l'écriture de fanfics, de jeux de rôle ... David Gaider, lead writer sur Dragon Age, s'exprime à ce sujet et donne de précieux conseils pour ceux qui souhaitent se lancer dans l'écriture de fanfictions. Ce billet a été publié sur le blog officiel de Bioware l'année dernière.


"Qui suis-je pour juger la fanfiction?


La réponse typique que j’obtiendrais à cette question serait « vous êtes un écrivain professionnel ». Bien que ce soit vrai, ma spécialité reste la conception narrative pour jeux vidéo ; même si j’ai écris  quelques romans, j’aurais du mal à les considérer comme de très bonnes œuvres, en comparaison d’autres travaux similaires dans le même genre. Je suis assez critique vis-à-vis de mon propre travail (même encore pas assez, comme peuvent le témoigner les premières relectures que j’ai tendance à recevoir de mes romans - il n’y a rien de mieux pour rester humble, croyez-moi-), même si je me dis que ce n’est pas inhabituel pour les écrivains. Un écrivain qui est complètement satisfait de ce qu'il produit a peu de chances de s’améliorer. Nous avons tendance à dépenser tellement de temps dans les mines de sel, agonisant sur chaque phrasé, qu’il nous est très vite impossible de voir au-delà de toute cette douleur. Vous pensez que c’est complètement nul, et même si ça l’est probablement, c’est tout aussi probable que ce ne soit pas aussi nul que vous ne le pensez. Après tout, l’art repose dans le fait d’atteindre votre public, et pas dans vos intentions d’auteur, votre belle tournure de phrase ou votre bonne grammaire.

Pour moi, la fanfiction est très artistique, malgré ce que d’autres voudraient vous faire croire. Pour de nombreux auteurs, c'est une façon de développer leurs compétences. Ils font leurs premières armes en jouant dans le bac à sable de quelqu’un d’autre avant de développer le leur, et cela leur apporte l’avantage de pouvoir partager leur amour avec d’autres fans. La fanfiction est généralement assez dévalorisée, et s'il est vrai qu'il y a beaucoup de mauvais textes dans le tas, on peut en dire de même pour tous les médias où s'exercent les débutants plein d'espoir. Que voulez-vous ? Ils apprennent. S’il y a une seule critique que je devrais faire, c’est que beaucoup d’auteurs de fanfictions s’isolent dans le cocon rassurant de l’audience appréciatrice, et ne reçoivent donc pas les critiques dont ils auraient besoin pour grandir. Il n’y a pas de mal à cela ; tout le monde n’a pas besoin de s’améliorer en tant qu’écrivain ; mais ceux qui reçoivent cette critique peuvent se transformer en de fantastiques auteurs. Certains décident de continuer la fanfiction, par ce que c’est ce qu’ils aiment, et cela ne diminue en rien leur réussite. Ils sont bons, point.

C'est ainsi que j'ai pris le rôle de juge de la compétition de fanfiction Dragon Age avec une certaine trépignation, même si « fanfiction » n’est probablement pas le bon terme dans ce contexte. Peu d’auteurs ont utilisé nos personnages dans des rôles plus importants que de ceux de simple caméos (NdT : clins d'oeil, apparitions furtives de célébrités dans une scène de film). C'est une bonne chose : si votre public inclut un des créateurs du personnage, vous marchez là en terrain miné. Faites-le bien, et vous aurez des points bonus. Faites-le mal ou pauvrement, et vous perdrez plus de points que vous ne pouvez vous permettre.

C’est pourquoi j’ai tendance à ne pas lire beaucoup de vraie fanfiction, puisqu’il est difficile pour moi de voir à travers toutes les traces de doigts laissées sur mes créations, mais cela ne veut pas dire que je leur en veux pour cela. Encore plus : je n’écris pas du tout de fanfictions, ou même de nouvelles. Ma dernière tentative était une nouvelle que j’avais écrite pour Fenris avant même de connaître vraiment le personnage, faite en une après-midi, sur une dealine très serrée. Je suis révulsé quand je la regarde à présent, par ce que je sais que je peux faire bien mieux. Alors je compatis avec les fans qui sont engagés dans un exercice similaire, et je me sens à peine digne de me poser juge de leurs précieuses contributions - spécialement en sachant à quel point ils trépignent, eux, dont le public est soudainement passé du camarade fan à la personne qui a participé à la création de leur bac à sable.

Au départ, je devais seulement lire les cinq meilleures contributions et choisir un gagnant parmi celles-ci. Chris et Jessica ne voulaient pas me demander trop de mon temps, ce que j’ai apprécié - pourtant, quand j’ai eu fini de lire ceux-ci, je ne me sentais pas bien. Elles étaient bonnes, mais si je devais prendre un gagnant et dire « David Gaider pense que celle-là est la meilleure », j’avais besoin d’un échantillon plus large. Alors Jessica m’a fait un pack des 400 fanfictions reçues et me les a envoyées. Je ne pouvais physiquement pas toutes les lire, alors j’ai recruté le reste de l’équipe du pôle narration pour m’aider à éplucher la pile. Ensemble, nous avons pu la réduire à un groupe dont je serais plus heureux de déclarer le gagnant, et nous pourrions alors dire honnêtement que chaque contribution a été lue par un écrivain de BioWare. Je pouvais donc me mettre à en lire un maximum, et le plus humainement possible. Cela me semblait plus que juste.

C’était cependant un gros travail. Au début, nous pensions que ça serait plus facile, que nous pourrions voir très vite quand une contribution n’irait pas jusqu’à la pile finale, et que ce serait vite débroussaillé. Il y en avait dans ce genre, bien sûr, mais en réalité, la plupart des contributions étaient suffisamment bonnes pour qu’on les lise jusqu’au bout… vous laissant vous asseoir après coup et décider à quel point vous aviez aimé cette fanfiction en comparaison des précédentes. C’était frustrant quelques fois. Plusieurs fois, après avoir fini une histoire, j’étais tenté d’envoyer un email au participant et lui dire « Vous vous êtes super bien débrouillé, c’était brillant, mais le problème c’est que vous… ». Mais je ne pouvais pas faire ça. Tout le monde ne peut pas entendre ce genre de critique subjective, ou même le vouloir, et je n’avais pas besoin d’être blessant.

Pourtant, après avoir lu des douzaines et des douzaines d’œuvres, certains schémas commencèrent à émerger. Des choses qui étaient irritantes, ou qui auraient pu être facilement évitées. Des choses qui me forcèrent à me rappeler à moi-même qu’aucune de ces personnes n’étaient des écrivains expérimentés. Il y avait aussi de bonnes choses, des choses qui m’ont inspiré et qui m’ont donné envie de m’asseoir et d’écrire quelque chose par moi-même - ce qui m’amène à  me demander si certains trouvent ça surprenant. Moi non. Les fans m’inspirent tout le temps. C’est pourquoi j’adore interagir avec eux le plus possible.

Donc, plutôt qu’envoyer des emails à tous ces gens, j’ai pensé que je pouvais rassembler une petite liste de « faire » et « ne pas faire » pour ce genre d’écriture, avec deux avertissements. Premièrement, ceci n'est que mon point de vue en tant que votre lecteur-cible, et, dans une moindre mesure, un écrivain quelque peu expérimenté. Deuxièmement, lorsqu’on en vient à l’écriture, toute règle existe pour être brisée. Cependant, si vous vous apprêtez à en briser une, vous devez le faire avec style.


1. NE PAS commencer avec une description. C’est une affirmation difficile, vu que les écrivains vont avoir des opinions différentes sur où et quand utiliser une description ; certains vont en mettre des tonnes et des tonnes, là ou d’autres ne vont presque pas en mettre. Je tombe plutôt dans la dernière catégorie, préférant donner aux lecteurs un ressenti du personnage ou du lieu, et laisser le reste à leur imagination, plutôt que sortir un dictionnaire de termes descriptifs. Mon avis est peut-être un peu biaisé. Cependant, de tous les endroits où vous devriez commencez une description, le tout début n’est pas le bon. Vous avez un paragraphe, peut-être deux, pour attirer l’attention du lecteur. Ne le gaspillez pas.


2. NE PAS retenir ses coups. Toutes les histoires ne doivent pas nécessairement être une expérience de tourment et de malaise, mais si c’est ce que votre récit promet et que c’est là où vous voyez qu’il vous emmène, alors ne déviez pas soudainement de votre route et abandonnez cette promesse. Il peut y avoir de nombreuses raisons de le faire. Peut-être que l’idée de tant d’acharnement vous rend triste, ou que vous aimez trop vos personnages pour leur faire quelque chose d’aussi terrible. Croyez-moi : écrire n’est pas fait pour être une entreprise plaisante, pas quand vous le faites bien. Certains vous accuseront peut-être de sadisme, mais ils ne vous en aimeront que plus encore… et vos personnages ? S’ils pouvaient vous parler, ils ne vous remercieraient pas de les épargner, car pour pouvoir vous sentir mieux vous leur aurez volé l’immortalité.


3. FAIRE attention au flow. Dans l’écriture créative, le flow est plus important que la langue. Certains écrivains abuseront tellement du thésaurus (NdT : « sorte de dictionnaire permettant de trouver, à partir d’une idée, d’autres mots en lien avec cette idée » merci Wikipédia.) que vous vous attendrez à moitié à les trouver en train d’errer le long de l’autoroute, la robe en lambeau et du rouge plein la figure. Ils gonflent leur prose avec des mots recherchés parce qu’ils pensent que cela rend leur texte plus poétique. Eh bien non. Ça rend juste votre prose lourde, et quand bien même  certains lecteurs apprécient cela, ça ne fait pas de vous un meilleur écrivain.  Soyez économes avec vos mots, et comprenez qu’il n’y a pas de phrase si intelligente qu’elle ne pourrait pas être supprimée si à la fin elle n’aide pas à atteindre votre objectif, à savoir raconter une histoire. Enlevez tous vos « mais » et vos « ceci, cela » en trop ; ainsi que les adjectifs et adverbes qui ne sont pas nécessaires (je donne souvent ce conseil moi-même). Assassinez vos bébés mots sans pitié, et avec la douleur viendra l’habitude de ne pas commencer par sur-peupler votre prose.


4. FAIRE attention à votre scope (NdT : l’ordre de grandeur de votre histoire, sa durée, ses implications, je n’ai pas trouvé de meilleur terme en français…). Le scope est quelque chose avec lequel je suis très intime, puisque c’est mon éternel ennemi en narrative design. Les nouvelles (short stories) sont appelées ainsi pour une bonne raison : elles racontent une petite histoire, pas une grande. Gardez vos grandes sagas épiques pleines de flashbacks et de points de vue multiples pour quelque chose de plus large. Pour l’instant, décidez quelle partie d’une histoire vous allez raconter. Faites la petite, et utilisez uniquement les outils qui sont absolument nécessaires pour atteindre votre fin. N’introduisez pas plus de personnages que nécessaire, et envisagez de recommencer et de changer votre scope, plutôt que de couper des bouts de votre histoire –il est important de savoir couper, mais vous courrez le risque de rendre votre histoire manchote plutôt que légère si vous coupez trop.


5. FAIRE l’inattendu. Il y avait certaines contributions qui avaient de délicieux twists dans leur histoire, et sans que cela tombe du ciel… et il y en avait d’autres qui, malheureusement, écrivaient quelque chose de standard alors que leur construction promettait tellement plus. Une histoire bien écrite qui ne va nulle part d’intéressant n’est pas mieux qu’une mal écrite. Si écrire vous donne l’impression d’être au boulot, et que ce que vous faites ne vous excite pas, alors écrivez quelque chose d’autre… ce qui ne veut pas dire que chaque mot devrait être une goutte d’or tombant de votre stylo. Si vous vous attendez à ça, vous allez vous paralyser. Par contre, quand vous aurez fini, ce que vous avez fait devrait être satisfaisant. Vous allez toujours penser que c’est complètement nul, par ce que vous êtes un écrivain, mais au moins vous pourrez sentir que vous avez repoussé vos limites… même juste un peu.


Je vais m’arrêter là, et espérer que les gens qui ont écrit une contribution ont plus ressenti cet article comme un conseil pour faire mieux que comme une critique infondée. Personnellement, je pense que chaque participant à fait quelque chose d’admirable. C’est toujours risqué de jeter quelque chose que vous avez créé dans l’océan, quand ça peut être sujet à examen. Une grande partie des retours que tout auteur recevra seront cruels et sans intérêt, mais certains vaudront le coup- et, emportés avec soi, vous aideront à vous améliorer. Si vous avez appris quelque chose, alors tout va pour le mieux. Je sais que moi,  j’ai appris, et je veux remercier tous ceux qui ont participé. L’amour que vous avez mis dans notre petit bac à sable nous a tout autant inspiré que remplis d’humilité, et m’a rappelé pourquoi j’adorais, et j’adore toujours construire ces merveilleux châteaux de sable."


Nous remercions nos confrères de http://www.masseffectsaga.com/ et particulièrement Troubladour, leur traducteur  de nous avoir partagé ce texte ;)

Commentaires

Post super intéressant de Mr Gaider. Plein de bons conseils pour les écrivains en herbe (tels que moi). Merci d'avoir partagé, je ne l'avais pas encore vu celui-là de sa part *-*
© 2025 - Powered by e-cms - Dragon Age™ trademarks are the property of EA and BioWare